19/05/2020
Canada – Québec

Le fleuve Saint-Laurent sans projet pétrolier

Après des années de débats et de controverses, c’est la fin des projets d’exploration pétrolière et gazière dans le Saint-Laurent. Le quotidien Le Devoir a appris que l’entreprise qui détient les permis québécois dans le secteur Old Harry a demandé leur annulation. Et même si Québec et Ottawa refusent de fermer définitivement la porte aux futurs projets, aucune législation n’est envisagée pour permettre de nouveaux forages.

L’entreprise albertaine Headwater Exploration, connue auparavant sous le nom de Corridor Resources, a soumis une demande d’annulation au gouvernement du Québec pour ses deux permis, soit une zone de 500 kilomètres carrés. Ceux-ci sont situés à 80 kilomètres au nord-est des îles de la Madeleine, sur la frontière maritime avec Terre-Neuve. "Nous attendons la documentation finale du gouvernement du Québec" qui officialisera l’abolition des permis en vigueur depuis 1996, a précisé par courriel un vice-président de Headwater Exploration, Scott Rideout. L’information a été confirmée par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. En janvier, les permis d’exploration détenus par l’entreprise de Calgary du côté terre-neuvien de la structure Old Harry avaient expiré, sans être renouvelés. Cet abandon des permis en eaux québécoises signe donc la fin d’une saga qui a alimenté des débats environnementaux et économiques depuis une décennie au Québec. Au fil des années, libéraux, péquistes et caquistes ont tous, à un moment ou à un autre, vanté le potentiel pétrolier de la structure sous-marine Old Harry. Or, même si plusieurs ont évoqué un potentiel pétrolier évalué à deux milliards de barils, celui-ci n’a jamais été démontré. Pour le biologiste Sylvain Archambault, qui suit les dossiers pétroliers dans le golfe depuis plusieurs années, cette décision de Headwater Exploration est une très bonne nouvelle. "La compagnie a compris que tout projet de forage serait très difficile à Old Harry, mais aussi que le potentiel n’est pas intéressant, d’autant qu’il s’agirait de gaz naturel", a-t-il résumé. Selon lui, les risques environnementaux liés à l’exploitation pétrolière dans ce secteur du golfe seraient par ailleurs beaucoup trop importants pour justifier un futur projet. Une préoccupation partagée notamment par plusieurs Madelinots, inquiets des conséquences pour l’industrie de la pêche. Plus de 5 000 entreprises de pêche et une centaine de compagnies d’acheteurs, de transformateurs et d’aquaculteurs dépendent de cette industrie dans le golfe. Sans compter les activités liées à l’industrie touristique. Deux études environnementales réalisées à la demande du gouvernement du Québec ont constaté le manque de connaissances sur les effets d’une marée noire dans le golfe. Mais on sait qu’un déversement pétrolier dans le Saint-Laurent risquerait d’avoir des effets à long terme sur l’ensemble de l’écosystème. Les opérations de nettoyage seraient aussi ardues. Contactés par Le Devoir, le gouvernement du Québec et celui du Canada n’ont toutefois pas voulu préciser s’ils entendaient interdire tout nouveau projet d’exploration pétrolière et gazière dans le golfe. Il faut savoir que de tels projets sont actuellement sous le coup d’un "moratoire", en attendant l’adoption d’une "loi miroir" qui permettrait de relancer les forages.

Si les projets sont terminés dans le Saint-Laurent, les forages en milieu marin devraient toutefois connaître une croissance marquée dans l’est du pays au cours des prochaines années. Terre-Neuve-et-Labrador prévoit la réalisation d’au moins 100 forages exploratoires d’ici 2030, mais dans les eaux de l’Atlantique Nord. L’objectif de la province est de doubler sa production pétrolière et gazière. Pour faciliter les projets du secteur des énergies fossiles, le gouvernement Trudeau a d’ailleurs décidé de mettre en place un règlement qui permettra d’exclure les forages d’exploration en milieu marin menés à l’est de Terre-Neuve du processus d’évaluation environnementale actuellement en vigueur. Les consultations publiques sur le règlement, qui se sont tenues en pleine crise de la COVID-19, se sont achevées le 30 avril.

Alexandre Shields – Le Devoir